jeudi 14 février 2013

Le coeur noir des forêts


« C’est pas pareil, quand tu portes une casquette, ta tête elle respire et ça donne un style qui va bien, tu ne trouves pas ? »



J’ai posé la photo sur le bureau, à côté du verre de Bourbon. C’était un cliché de 1947 et j’ai reconnu le Knucklehead qui dormait dans le garage, impeccable.
« Tu t’en es jamais séparé ? » j’ai demandé.

« Tu parles de la moto, évidemment ». Pete a souri, et, posant son doigt sur le cliché : « Finalement, j’ai perdu l’une en gagnant l’autre… ».

On s’est assis pour mieux goûter au liquide ambré qui refroidissait autour des glaçons et j’ai écouté l’histoire de Jeanne et du Knuck, pendant une partie de la nuit.

On avait laissé les fenêtres ouvertes pour que l’obscurité pénétre dans la maison, et le silence alentour tenait son personnage dans cette histoire de vie, comme un témoin grave et bienveillant.

Avant l’aube, on est sorti sur le perron pour goûter à la fraîcheur des arbres. J’avais perdu l’habitude de ces heures de veille et le sommeil a embué mon regard un moment.

Le son grave du moteur m’a alors sorti d’une vague somnolence. Recouvrant mes esprits, j’ai eu le temps d’apercevoir Pete lançant sa moto dans la pâleur timide de l’aube, tel un sombre animal pénétrant au cœur noir de la forêt. 


OREGON, le 12 septembre 1973


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